Vendredi matin, je débarque donc au boulot avec vingt bonnes minutes de retard, me corrigeant mentalement : « ranh, t’abuses quand même… »
Pourtant, un seul employé est présent. Il est en grande conversation téléphonique sur le fixe du bureau. Il calcule ses impôts avec sa femme. Et là, j’apprends qu’il gagne plus du double de mon salaire. Je l’ai déjà mauvaise en entendant la nouvelle, mais il m’achève une heure plus tard, quand il raccroche enfin. Il me voit travailler normalement et rigole avec dédain : « mais pourquoi tu te tracasses à bosser autant, toute façon t’as la même paie au final ? Nous on ne regarde que 25 dossiers dans la journée. »
Sa voisine, qui lit le journal gratuit, acquiesce. Je tombe des nues car je ne traite non pas 10 %, ou un quart, mais carrément TROIS FOIS PLUS de dossiers qu’eux. Je m’étrangle également en repensant à leurs propos lors des élections, vantant les mérites du « travailler plus pour gagner plus ». Comble de l’ironie, ils sont tous à temps partiel. Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais, sans regarder la poutre dans mon œil.Mon collègue à ma droite n’est même pas là. Son ordinateur est éteint, mais ça, c’est habituel. Il l’allume en général quand il me voit arriver (sachant que, ne travaillant que 4 jours, il est censé bosser dès 7h30, soit une heure 30 avant moi) (le seul jour où je suis arrivée en avance, je l’ai surpris en plein sudoku) (je suppose qu’après ses 30 ans dans l’entreprise il doit maîtriser le niveau « expert »).
A 10h30, je le vois enfin débarquer comme une fleur, pour repartir une heure et demie plus tard avec les autres, puisqu’à part le chef et moi personne ne bosse à temps plein.
Je pensais avoir tout vu et entendu, mais le collègue qui a passé sa matinée au téléphone me sort le plus naturellement du monde, tout en mettant son manteau :
-Ah Papillote, tu pourras t’occuper des dossiers Trucs, j’ai pas eu le temps de le faire.
Au lieu de lui rétorquer : Si tu n’avais pas passé ton temps au téléphone aussi !!! Je pense à la place à cette nouvelle tâche :
- Mais qu’est que c’est ? On ne m’a jamais demandé de le faire, ni expliqué comment !
-C’est pas compliqué, il suffit juste de classer et répertorier tous les dossiers qu’on a fait et de noter tous leurs numéros.
Je le regarde avec de grands yeux ronds. Il doit penser que je suis trop bête pour comprendre ce qu’il dit, mais je suis en fait ébahie par son culot.
Il ose même dire, je vous assure que je le cite mot pour mot : - Parce qu’à la base c’est le boulot du chef, mais il veut pas le faire parce que c’est pas intéressant, alors il me le refile. Et si il voit que je l’ai pas fait quand il rentrera lundi, il va m’engueuler »Je pense qu’est inscrit sur mon front, en lettres clignotantes : « pigeon, marchez-moi dessus je ne dirai rien »
Et effectivement je n’ai rien dit. J’ai juste marmonné « on verra si j’ai le temps, faut que j’y pense ». C’est idiot mais j’ai d’abord songé : « c’est la première fois en cinq mois de travail que ce collègue m’adresse la parole (à part les salutations d’usage) je ne vais pas rentrer en conflit avec, pour une fois qu’il se déride. »
Mais faut pas pousser, je n’ai pas fait son travail. Il se fera peut-être sermonner lundi, et m’en voudra de ne pas avoir fait son boulot. Un jour j’apprendrais à avoir de la répartie et à m’imposer d’entrée pour éviter ces désagréments. A la place, je rumine une réponse que je parviens enfin à sortir trois jours après, quand la bataille est finie. Je suppose que mes autres collègues qui passent leur journée à gueuler comme des poissonnières de Ménilmontant lui auraient hurlé immédiatement, comme je les ai déjà entendus faire : « qu’il pouvait aller se gratter et se foutre les dossiers où je pense. »
Mes collègues à temps partiels partis, je me retrouve donc seule dans le bureau, sans personne pour vérifier si je bosse ou pas. Eh bien figurez-vous, j’ai travaillé quand même. Pire, comme je n’avais pas fini le dossier en cours, je suis même partie avec 30 minutes de retard (celles que j’avais gagnées le matin) (mes collègues abandonnent leurs dossiers sur la table dès que 17 heures sonnent, comme si une alerte au bombardement les priait de courir dans l’abri le plus proche.)
Enfin, « seule au bureau, sans personne pour vérifier »… Ce n’est qu’une expression…
SUITE DEMAIN
Et vous, quelle est l'ambiance au bureau quand le chat n'est pas là?